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7 janvier 2017 6 07 /01 /janvier /2017 16:41

 

 

Au Maroc, les mendiants m’énervent un peu en ce moment. Ce n’est pas beau à dire, mais je le dis quand même. Je sais que ces malheureux n’ont rien et le que le Royaume traine la patte pour aider ses miséreux. Alors dans les grandes villes, les pauvres réclament de l’argent dès qu’apparait un semblant de nanti. Une mendicité insistante.

La charité est l’un des cinq piliers de l’Islam ; une pure hypocrisie, un dirham par-ci, un dirham par-là…parfois je donne, parfois pas. Mon œil, la bonne conscience ! On prie surtout le Bon Dieu de ne pas nous avoir rendu aussi pauvre.  Puis on voit ces femmes trimbalant un bébé dans les bras, pour émouvoir aux carrefours encombrés, au milieu des gaz d’échappement, pauvres enfants gazés pour un sou !  D’autres femmes voilées, accroupie sur le trottoir, avec un petit gosse qui ne sait pas où aller jouer ! C’est quoi les gens charitables ? Ceux qui se donnent un brin de conscience en distribuant menu fretin ? Pourtant, quand je fais une aumône de trois ronds, je me dis que c’est bien con, à quoi bon prolonger le supplice d’une vie ? Je suis optimiste…je pense aux enfants qui jouent dans l’immondice en croyant être au paradis, un espoir éphémère. Je sais depuis longtemps que la pauvreté est une plaie pour l’homme, il suffit de lire Zola.

 

Je me disais aussi que j’avais connu pire dans la mendicité, c’était en Indonésie, à Bandung précisément, j’y vis une femme atteinte de la lèpre, accroupie sur un trottoir, elle avait à la place du nez un trou béant, profond, noir comme un gouffre, des yeux vides. Elle portait dans ses bras un bambin assoupi, comme une vierge à l’enfant. Le môme dormait tel un ange dans le giron maternel. Je jetai dans son écuelle quelques roupies… à quoi bon ? J’entendais Antonin Artaud hurler de sa voix de crécelle : «l’homme est malade ! l’homme est malade ! » Il avait raison ! 

Aujourd’hui je n’avais pas le moral, je ruminais, alors j’ouvris une note de Farouk, en même temps qu’une bouteille de Boulaouane bien frappée, c’est tout ce qui me restait au frigo. 

 

 

 

***

 

 

Je l’avais rencontrée à Londres, à Notting Hill précisément, dans un fish&chips branché. Une belle saoudienne, de sang princier, les cheveux tirés en arrière, des yeux magnifiques, en amande, protégés par de larges lunettes à la mode. Elle portait un jogging gris-chiné, sorti d’un campus californien, assez ample pour cacher ses formes qu’on devinait quand même. 

Cette rencontre n’était pas tout à fait fortuite, mais j’imaginais qu’elle le fût. Je tombai amoureux d’elle sans calculer. Je m’étonnai de mon bagout. Je lui faisais du gringue, mais le charme est un exercice difficile qui demande beaucoup de délicatesse, une qualité rare chez les espions. 

Pour introduire les milieux saoudien, mieux valait avoir une princesse dans la fouille ! Celle-ci était plutôt américaine de cœur et de mœurs, mais elle devait se marier avec un prince saoudien, l’étiquette oblige. Ce mariage s’annonçait déjà à la cour des Saoud comme un événement majeur. 

Le plus drôle fut que j’emmenai ma princesse jouer au bowling après le repas, nous dégommâmes des quilles, en pagailles, des strikes en série, des rires, des connivences, après quelques bières je rêvai de faire l’amour avec elle. Fantasme impossible. 

Quelques semaines plus tard, je reçu d’elle un bristol m’invitant à son mariage à Djeda, je ne pouvais pas refuser, ma hiérarchie approuva. J’embarquai sur la RAM, pour un pénible vol de six heures. J’aurais préféré la revoir à Montréal !

C’est triste l’Arabie pour qui n’a aucune raison de se rendre à la Mecque. On y croise plein de déplacés qui en avaient marre de mendier chez eux pour aller gagner leur pain chez les richissimes. L’argent et le pouvoir reposent toujours sur des pilotis fichés dans la misère. 

Là-bas, les femmes restent bien cachées sous abaya, sans bruit, elles déambulent en laissant une trainée de parfum français qui suinte de leur voile noir. Elles circulent souvent en groupe pour éviter tout équivoque avec la police religieuse qui porte matraque à la ceinture. Autant dire que c’est extrêmement rare de rencontrer une femme en entier.

Dehors, dans les larges avenues, je ne croisais que des hommes, le vendredi, encore pire ;  des foules masculines envahissaient les boulevards, elles dégoulinaient comme la lave d’un volcan, compactes, dans un lent mouvement. Une insupportable odeur de mâle envahissait l’atmosphère. L’heure de la prière était sans pitié pour les petits commerçants qui rechignaient à fermer boutiques dans les souks, les flics veillaient à imposer les bonnes mœurs, sous peine de baston. Je rentrai déprimé au Sheraton où ma princesse m’avait réservé une suite junior.

Les préparatifs de la noce avançaient à grands pas, des décorateurs italiens remaniaient à grand frais le ball-room de l’hôtel pour le rendre unique, un écrin d’amour à plusieurs milliers de dollars. La princesse avait commandé des gerbes de tulipes de Hollande, transportées par avion. Mais le camion frigorifique chargé d’acheminer les fleurs à l’hôtel était trop froid, les tulipes arrivèrent détruites, quasiment congelées. On en fit revenir d’autres d’Amsterdam en express, en jet privé. Le décor du mariage fut aussi mal conçu, le vélum était fragile, si bien que les techniciens durent réduire sa hauteur, créant ainsi une ambiance étouffante, les éclairages prévus devenaient aveuglants.

En tant qu’homme, je n’avais pas le droit d’assister à cette cérémonie réservée aux femmes, mais la mariée me trouva une place à coté de l’orchestre qui était installé en « aveugle » dans un couloir qui jouxtait les cuisines. Les musiciens utilisaient deux caméras pour accompagner la chanteuse et monitorer l’audience sur des écrans. 

Les femmes, débarrassées de leurs carcans, affichaient les derniers cris de la mode européenne, tous les renoms du luxe. Des mini jupes, des décolletés plongeants, des bas noirs, résilles et  jarretelles…puis des boucles d’oreilles serties de pierres, des rivières de diamants, des bracelets d’émeraudes, de rubis, une vrai mine d’or. Le petit frère de la princesse, qui devait avoir à peine douze ans, vint nous saluer en coulisse, il portait au poignet une Cartier faite sur mesure, je lui aurais bien coupé la main ! Comme celle du voleur qu’on trancha ce matin en place publique. 

Puis d’un coup, alors que le marié (le seul homme accepté dans cet univers féminin) rejoignait son épouse dans la Kocha, le vélum de tissu s’effondra sur les invités.

S’en suivi une pagaille incroyable, des cris stridents, une bousculade huppée, un mouvement de panique. La sécurité de l’hôtel ne savait pas quoi faire car elle n’avait pas le droit de voir ces bourgeoises en tenue légère. Interdit ! La sirène d’alarme se déclencha. Des femmes dévoilées se précipitèrent dans les couloirs, en cachant de leurs mains leurs visages pour se mettre à l’abri de la concupiscence. Certaines ôtèrent accroupies leurs chaussures à talons pour pouloper plus vite vers la sortie, si bien qu’on apercevait l’entrejambe. Le personnel de cuisine philippin était aux anges ! Débaroula ensuite une cohorte de garde du corps pour sauver cette basse-cour. 

Certains dévoués utilisèrent leurs djellabas pour voiler leurs maîtresses afin de les reconduire au parking dignement. Une procession assez curieuse, d’hommes en caleçon long, babouches et débardeur, trimbalant un sac blanc sous le bras qui gémissait comme une petite souris. J’observais cette farandole d’un regard amusé, lorsque je vis ma princesse passer, accompagnée de quatre colosses en costard noir. Je la voyais se marrer comme pas permis ! Nos regards se croisèrent une seconde…elle m’adressa un clin d’œil coquin que je n’oublierai jamais de ma vie. 

Malheureusement je ne l’ai plus revu depuis cet épisode, mais à chaque fois que j’assiste à un mariage de près ou de loin, je pense à elle qui était si belle.

 

***

 

Je n’avais pas trop envie de penser. « Alors la vie c’est comme ça, et pis c’est tout » me dis-je résigné. 

 

A.A

 

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