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15 octobre 2017 7 15 /10 /octobre /2017 14:12

Les carnets de Farouk / Séquence 1.17- Ajout ( texte sans note de Farouk ) 

 

Ce mois de septembre était encore radieux, j’étais de passage à Oualidia pour le week-end, un peu par hasard, comme quoi le hasard fait bien les choses, en loucedé. 

À Oualidia, je n’y avait pas remis les pieds depuis une vingtaine d’années, mazette…  lors d’une virée avec Farouk et mon pote Alain P., ce fut lui qui nous fit découvrir, en ces temps reculés, ce charmant petit coin de la côte atlantique. 

Je me disais, en y arrivant après tant d’années, que mes deux compères, fussent-ils encore en vie, n’auraient pas reconnu le bled tant il avait grossi, boursouflé par l’injustifiable prétention des stations balnéaires en proie au tourisme de masse.

Je réservai une chambre à l’Araignée Gourmande, qui fut un de nos fiefs de l’époque, mais elle aussi avait changée. Le bâtiment principal, qui donnait sur la petite plage étant complet, le taulier me refila une piaule à l’annexe, deux cent mètres plus bas, avec une vue sur rien, meublée de deux petits lits couplés pour en faire un grand, des draps déchirés par l’usure, une salle de bain bien vétuste, avec de l’eau chaude quand même, et des murs insonorisés par Riz-La-Croix…mais pour deux nuits je n’étais pas du genre à me plaindre. Et puis on y mangeait toujours aussi bien, pour ceux qui apprécient les fruits de mer. Le patron nous servait toujours une entrée à l’œil, qu’on n’avait jamais commandée, un plat de couteaux à la persillade ou une rafale d’oursins. Mon préféré restait l’araignée décortiquée avec une mayo maison…à suivre d’une douzaine d’huitres du cru, en dessert, le tout arrosé d’un litron de Sémillant blanc bien frappé. 

J’avais rencontré Alain P. alors qu’il était chef de plateau au palais des congrès de Marrakech, cette année là Farouk avait insisté pour que je l’accompagne au Maroc ( à mes frais bien sûr !) afin de suivre un important colloque de barbouzes dont le thème traitait de « comment démasquer les femmes voilées qui sont d’intelligence avec l’ennemi »…rien que ça ! Autant dire que je n’en avais rien à taper de leurs palabres, j’étais venu par curiosité, dans l’espoir de dévoiler une nouvelle conquête.

Tandis que Farouk draguait dans les couloirs les bonniches de service, je me fis copain avec Alain P. au bar de l’hôtel où il avait carte blanche pour rincer les clients de son choix. Il était bien tombé. Avec moi, sa note fut plus salée que les bretzels du comptoir. 

Ce fut là , sur ce zinc arrosé, que nous décidâmes d’une escapade à Oualidia. 

Je n’eu point grand mal à convaincre Farouk de se joindre à cette petite virée, à condition d’être bien accompagnés. Alain P. venait avec sa femme et nous n’avions aucune intention de tenir les chandelles, évidemment.

 

(J’avais retrouvé des traces de cet épisode dans les carnets de Farouk, mais trop sibyllines, deux phrases mal tournées, au mieux, heureusement que mes souvenirs restaient encore vivaces.)

 

Alain P. considérait, comme beaucoup de mecs, qu’il fallait impérativement faire sa vie avec une femme, non pas par crainte de la solitude ou de la masturbation, mais plutôt pour s’affranchir des menues taches quotidiennes comme la bouffe et le ménage. Bref, on trouve des types comme ça en pagaille, l’amour au pieu et bobonne aux fourneaux… les Gaouris feront toujours rêver les filles du bled, alors les français en profitent à tout âge, surtout avancé….il n’y a pas si longtemps je prenais un café en face du lycée Victor Hugo de Marrakech, c’était un samedi et la cloche de sortie allait bientôt retentir. Je regardais les parents attendre leurs marmots devant le portail, je voyais beaucoup de vieux dans la soixantaine, comme des grands-pères, qui venaient chercher en 4x4 leurs petits-enfants, mais c’était leurs enfants qu’ils attendaient, des vieux croûtons, tous mariés avec des jeunettes qui pourraient être leur fille. À vingt ans, ces moutards auront tous un père grabataire et une mère en colère quand le papa partira sans rien laisser qu’une chimère. 

 

Mais revenons en aux faits. Nous partîmes pour Oualidia à six, blottis dans une Peugeot break : Alain et sa femme Fatima à l’avant, et à l’arrière Farouk flanqué de son étrange Zineb, et moi avec une petite femme de location nommée Zoubida. Nous étions bien serrés et ce n’était pas plus mal pour faire amoureusement trois heures de route cahin-caha. Nous arrivâmes joyeux à Oualidia, un de ces petits moments de bonheur pétillants et juvéniles. Nous prîmes nos trois chambres avec lits matrimoniaux et six bières sans faux col, puis nous décidâmes pour une longue balade sur la grande plage. 

 

Le sable fin était brun comme une belle cassonade, la plage était longée au large par de longs rochers plats comme des îlots que l’océan, au fil des siècles, avait ciselé en dentelles acérées. Les flots avaient aussi rongés la roche par en dessous, et lorsque que les vagues rageuses s’engouffraient dans ses entrailles, l’eau surgissait au beau milieu de l’îlot par d’invisibles bouches, formant de puissants geysers de brume, rythmés par la houle et sonores comme le souffle des baleines.

Parfois de fugaces arc-en-ciel coloriaient ces colonnes de bruine, tout un spectacle que l’on ne pouvait qu’observer à marée montante et à une heure précise de l’après midi. 

Au bout de la plage, on pouvait accéder sur l’une de ces rocailles où l’on pouvait admier la vie de ces étranges geysers. 

 

Alors que nous étions en contre-bas avec Alain P. et nos copines, j’observai Farouk et Zineb s’approcher du trou d’où surgissait l’eau. Puis je les ai vu sauter dedans….tous les deux ! 

 

Alors j’ai crié, j’hurlai à tue-tête devrais-je dire ! Au secours, au secours! 

Mais Alain et les filles, me regardèrent d’un air étrange, comme si je n’allais pas bien, comme si j’avais bu. 

 - Tu sais, me dit doucement Fati, je crois qu’ils sont rentrés à l’hôtel

 - Mais non je les ai vu sauter dans le trou ! 

 - Allez, rentrons, il est tant d’aller claper, trancha Alain, puis c’est l’heure de l’apéro !  

Nous rentrâmes d’un pas alerte à l’Araignée Gourmande. Farouk et Zineb nous attendaient à notre table réservée, devant un verre de blanc, bras dessus bras dessous. 

Encore aujourd’hui je suis absolument certain de les avoir vu sauter…pourtant, ils étaient là, à table, vivants tous les deux. Je me disais que c’est dans le gouffre que l’amour devient éternel.

 

Puis à la fin ce fut quand même cette petite Zineb qui recueillit le dernier souffle du Colonel Farouk.  

 

 

A.A.

 

 

 

 

 

 

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