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10 juin 2018 7 10 /06 /juin /2018 17:33

Les carnets de Farouk / Séquence 1.21

Cette histoire ne provient pas des carnets de Farouk, bien qu’elle eût pu s’y trouver, mais elle vient d’un souvenir personnel non écrit ; ce qui fait la force de la mémoire c’est qu’elle ne se rédige pas forcément… encore heureux. 

Je me souviens que nous avions fait un bon gueuleton dans un resto cacher de Rabat, à la Menora, le chef était un champion reconnu de la Tanjia. Un vrai régal, arrosé d’un vin rouge béni extrêmement gouleyant. Puis nous finîmes le repas sur une tournée de mariah exceptionnelle, triplement bénite par des Rabbi ivrognes qui cultivaient des figues dans les jardins miraculeux de leur yechivot. Il n’en fallait pas plus pour nous forger de grands projets. Nous décidâmes alors de nous rendre au bord de l’océan, pour apprécier la nature et voir voler les goélands. 

Nous prîmes place tant bien que mal dans ma modeste 4L Renault, changement de vitesses au tisonnier, et en route pour les bords de mer. J’adorais cette vieille guinde !  

Ce n’était pas dans ses habitudes, à Farouk, de maugréer, pour un oui pour un non, surtout à bord d’une bagnole, mais quand il mâchonnait ses mots comme un vieux chiqueur de tabac, on se doutait bien qu’il allait se mettre à déblatérer : 

« Tu comprends à quoi ça sert l’Humanité, cette bonne Humanité ? Ben j’vais te l’dire ! Ça ne sert rien, à que d’chiffe ! Un truc inutile crée par mégarde par je ne sais Qui, par un vieux Ringard ! 

Faut prendre un peu de hauteur pour piger ça, s’élever à vingt-mille lieux dans l’espace, puis là tu verras que la Terre était plus belle lorsqu’elle était peuplée d’animaux, même des pires, des plus méchants, des plus sauvages, des plus cruels. Suppose que l’Homme disparaisse du jour au lendemain, crac, rayé de la carte, c’est ce qui lui pend au nez, et il l’aura bien mérité…Et bien regardes le tas de merde qu’il aura laissé sur Terre, cet impressionnant fatras de ferrailles, de béton, ces monceaux de plastiques, de la daube en tous genres qui n’auront servis à rien, une inutile prétention, une défécation mortifère ! Une immense immondice d’une puanteur planétaire ! Voilà le grand succès de l’Humanité, de la merde et encore de la merde ! À n’en plus finir ! Tu pourras toujours me causer de l’Homme, de l’Art, de la Conscience, de la Science, de la Religion et toutes ces conneries qui seront balayées en moins de deux, parce tout ça n’est rien que de la chiasse ! Quand on regarde de là-haut on voit beaucoup mieux, pis on évite ces vilains effluves ! Comme disait Antonin Artaud de sa voix de crécelle : « L'homme est malade parce qu'il est mal construit » Une vérité qu’on peut constater chaque jour, un joli pied-de-nez au Bon Dieu qui se croit tout permis, une feignasse de compétition, ce-Lui-là ! Et puis voilà le résultat des courses : un paquet de merde à l’arrivée, et comac encore, y’en aura pour l’éternité ! C’est dégoutant. » 

Nous arrivions en bord de mer…

D’un coup Farouk s’est tu, il ne mouftait plus. Silence radio. On s’était garé au bord d’une falaise. Personne aux alentours. On regardait le ciel bleu qui fuyait vers la nuit, tout là-haut, comme si c’était pour la dernière fois, on regardait les mouettes qui tournoyaient dans le vent pour chercher pitance. Les vagues puissantes, qui s’écrasaient sur la falaise, projetaient sur nos visages des embruns iodés. C’était beau. Un chien errant vint pisser à nos pieds, nous l’ignorâmes avec un sourire. On écoutait le silence bruyant de la nature, sans la polluer de nos paroles d’humain. Nous restâmes ainsi jusqu’au coucher du soleil, debout sans rien dire. Stoïques. Face à l’océan. 

Quand la nuit se fit très proche, au bord de l’à-pic, Farouk ouvrit enfin sa bouche pour me dire qu’il connaissait dans le bled d’à côté une paire de mignonnes, pas du tout farouches, qui seraient prêtes, moyennent deux sous, à nous faire de gentils câlins pour nous rabibocher avec l’Humanité, du moins provisoirement. J’applaudissais des deux mains, et aussi des deux pieds que j’allais prendre !  Alors nous courûmes les rejoindre sans plus attendre.

 A.A.

 

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