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16 juin 2017 5 16 /06 /juin /2017 20:15

 

Aujourd’hui je me suis souvenu d’un type dénommé Didier Pénillon, j’ai bien cru reconnaitre sa bobine sur une vielle photo floue glanée dans les tiroirs de Farouk. Pourtant aucune raison plausible ne me permet de raccorder l’un à l’autre. Absolument aucune, sinon un mélimélo de souvenirs. 

 

Pénillon était un ancien des commandos-marine, des durs de dur, des carcassés, mais des grands paumés une fois rendu à la quille. Je savais que Farouk avait transité quelques semaines chez les commandos, mais de là à croiser Pénillon-le-tatoué, il y avait des bornes. 

Pénillon était taillé dans le granit, une tête au carré, une sorte de menhir pas bien élevé, dans les un mètre soixante. Il portait une petite bacchante et de grosses rouflaquettes. Il souffrait aussi d’une bromhidrose aiguë capable d’infecter des centaines de mètres cubes dès lors qu’il se déchaussait. Une arme fatale.

Son tatouage à l’avant bras était si grossier qu’on ne devinait plus la chose qu’il était censé représenter. Lui même ne s’en souvenait plus très bien. Ce qui comptait dans sa vie, c’était de baiser des femmes à tire-larigot. Une passion. Je crois même qu’il avait réussi à prostituer sa mère pour faire bouillir la marmite. La dernière fois que je l’ai vu, il créchait dans une minable bicoque près de Rambouillet, coincée au bord de la RN10, il y hébergeait trois greluches qui faisaient le tapin auprès des routiers de passage, mais les affaires n’allaient pas fort et l’hiver était rude, alors ils avaient démonté les portes et les volets de la baraque pour alimenter la cheminée. Il y faisait un froid de canard. C’était vilain à voir. Ça gueulait dans tous les sens, des cris stridents, ses pétasses bardées de couvrantes lui en voulaient à mort de les avoir entrainées dans ce maudis taudis. Je les quittai à la sauvette, en douce, sur la pointe des pieds. 

Je ne sais pas pourquoi ce souvenir me ramène aux poésies retrouvées dans les carnets de Farouk. Une piste peut-être dans ce mémo du Colonel. 

 

***

Ce fut en octobre 1982, par un printemps radieux que je rencontrai Fabienne Tremblay à Melbourne, au Flagstaff Gardens.

Elle émigrait du Québec qu’elle quitta à cause de la froidure et travaillait comme serveuse dans la buvette du parc. Elle portait un petit tablier serré à la taille qui lui allait si bien pour faire le service. Je cherchais à cette époque une « boite aux lettres » pour passer en toute discrétion des courriers classés « sensibles ». Je me suis rapproché d’elle. 

Quand je vois une jolie femme, je ne peux jamais m’empêcher de penser qu’elle sera prochainement l’amour de mes nuits ! Ça me fait le coup à chaque fois, j’aurais de quoi baiser un siècle.

Fabienne, je l’aimai d’emblée, avant même de lui adresser la parole. Si belle et si gourde à la fois, avec sa démarche de bûcheron gaspésien, des jambes aussi longues qu’un séquoia, et des miches… mon vieux ! Un visage de blondinette, une peau de bébé, des yeux bleus sous vitrine. Un chignon charmant en forme de poire couronnait son minois. Elle avait aussi un petit nez en trompette qui me donnait envie de claironner. Puis le coup de bol survint. Nous fûmes épris. 

Je m’étendrais pas sur les journées ensoleillées durant lesquelles nous fîmes l’amour à n’en plus finir, blottis dans ma petite piaule. Elle partait tôt le matin, et je la caressais encore jusque dans la salle de bain. Je pensais à elle sans cesse, mais le boulot c’est le boulot…Je glissai dans la poche de son tablier des micro-films à son insu. Un habile pickpocket de nos services, connu comme un habitué de la buvette, venait prendre son café chaque matin et relevait mon courrier subrepticement.

Pour un agent secret c’est une grosse honte d’être filé par autrui sans s’en apercevoir ! C’est pourtant ce qu’il m’arriva. Un type frappa à ma porte vers midi alors que j’enfilais mon caleçon. 

Un jeunot, dans les vingt berges, agité comme une anguille, des yeux bleus furibards et les cheveux en pétard :

- Infâme cochon ! qu’il me dit, Fabienne est à moi, rien qu’à moi ! Je l’aime comme un fou, et vous, vieux lubrique, vous ne pensez qu’à la sauter alors qu’elle pourrait être votre fille ! Vous me dégoutez, je vais vous casser la gueule ! 

- N’y pensez pas ! luis dis-je, je suis spécialiste en arts martiaux, je pourrai vous briser dix côtelettes  en moins de deux. 

 

Alors le gosse a fondu en larmes. Il me raconta sa vie de merde, depuis des lustres. Il geignait comme daim. Dégoulinant. À chier. Je me retenais de lui coller des baffes.

J’hurlais «  Fais’y des gosses à cette môme si tu l’aimes tant, pis passes ta vie à gratter comme con pour subvenir à leurs besoins, t’as aucun rêve dans la tronche mon pauv’ garçon». 

 

Le gamin à reniflé encore et encore, puis il est parti en claquant la porte. En coup de vent. 

 

Le lendemain on retrouva Fabienne noyée dans un petit bassin du Flagstaff recouvert de nénuphars, les badauds virent un petit nez en trompette flotter parmi les fleurs, avant d’alerter la police en fanfare. 

 

Je passai par-là, comme tous les matins, alors j’écoutai l’attroupement qui jasait sur ce fait-divers. « Pauvre gamine, à son âge ! Pensez donc !» 

Du coup je jetai mes micro-films au diable Vauvert. Je ne suis plus jamais retourné à Melbourne et je n’y retournerai jamais. 

 

A.A.

 

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