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10 juin 2018 7 10 /06 /juin /2018 17:33

Les carnets de Farouk / Séquence 1.21

Cette histoire ne provient pas des carnets de Farouk, bien qu’elle eût pu s’y trouver, mais elle vient d’un souvenir personnel non écrit ; ce qui fait la force de la mémoire c’est qu’elle ne se rédige pas forcément… encore heureux. 

Je me souviens que nous avions fait un bon gueuleton dans un resto cacher de Rabat, à la Menora, le chef était un champion reconnu de la Tanjia. Un vrai régal, arrosé d’un vin rouge béni extrêmement gouleyant. Puis nous finîmes le repas sur une tournée de mariah exceptionnelle, triplement bénite par des Rabbi ivrognes qui cultivaient des figues dans les jardins miraculeux de leur yechivot. Il n’en fallait pas plus pour nous forger de grands projets. Nous décidâmes alors de nous rendre au bord de l’océan, pour apprécier la nature et voir voler les goélands. 

Nous prîmes place tant bien que mal dans ma modeste 4L Renault, changement de vitesses au tisonnier, et en route pour les bords de mer. J’adorais cette vieille guinde !  

Ce n’était pas dans ses habitudes, à Farouk, de maugréer, pour un oui pour un non, surtout à bord d’une bagnole, mais quand il mâchonnait ses mots comme un vieux chiqueur de tabac, on se doutait bien qu’il allait se mettre à déblatérer : 

« Tu comprends à quoi ça sert l’Humanité, cette bonne Humanité ? Ben j’vais te l’dire ! Ça ne sert rien, à que d’chiffe ! Un truc inutile crée par mégarde par je ne sais Qui, par un vieux Ringard ! 

Faut prendre un peu de hauteur pour piger ça, s’élever à vingt-mille lieux dans l’espace, puis là tu verras que la Terre était plus belle lorsqu’elle était peuplée d’animaux, même des pires, des plus méchants, des plus sauvages, des plus cruels. Suppose que l’Homme disparaisse du jour au lendemain, crac, rayé de la carte, c’est ce qui lui pend au nez, et il l’aura bien mérité…Et bien regardes le tas de merde qu’il aura laissé sur Terre, cet impressionnant fatras de ferrailles, de béton, ces monceaux de plastiques, de la daube en tous genres qui n’auront servis à rien, une inutile prétention, une défécation mortifère ! Une immense immondice d’une puanteur planétaire ! Voilà le grand succès de l’Humanité, de la merde et encore de la merde ! À n’en plus finir ! Tu pourras toujours me causer de l’Homme, de l’Art, de la Conscience, de la Science, de la Religion et toutes ces conneries qui seront balayées en moins de deux, parce tout ça n’est rien que de la chiasse ! Quand on regarde de là-haut on voit beaucoup mieux, pis on évite ces vilains effluves ! Comme disait Antonin Artaud de sa voix de crécelle : « L'homme est malade parce qu'il est mal construit » Une vérité qu’on peut constater chaque jour, un joli pied-de-nez au Bon Dieu qui se croit tout permis, une feignasse de compétition, ce-Lui-là ! Et puis voilà le résultat des courses : un paquet de merde à l’arrivée, et comac encore, y’en aura pour l’éternité ! C’est dégoutant. » 

Nous arrivions en bord de mer…

D’un coup Farouk s’est tu, il ne mouftait plus. Silence radio. On s’était garé au bord d’une falaise. Personne aux alentours. On regardait le ciel bleu qui fuyait vers la nuit, tout là-haut, comme si c’était pour la dernière fois, on regardait les mouettes qui tournoyaient dans le vent pour chercher pitance. Les vagues puissantes, qui s’écrasaient sur la falaise, projetaient sur nos visages des embruns iodés. C’était beau. Un chien errant vint pisser à nos pieds, nous l’ignorâmes avec un sourire. On écoutait le silence bruyant de la nature, sans la polluer de nos paroles d’humain. Nous restâmes ainsi jusqu’au coucher du soleil, debout sans rien dire. Stoïques. Face à l’océan. 

Quand la nuit se fit très proche, au bord de l’à-pic, Farouk ouvrit enfin sa bouche pour me dire qu’il connaissait dans le bled d’à côté une paire de mignonnes, pas du tout farouches, qui seraient prêtes, moyennent deux sous, à nous faire de gentils câlins pour nous rabibocher avec l’Humanité, du moins provisoirement. J’applaudissais des deux mains, et aussi des deux pieds que j’allais prendre !  Alors nous courûmes les rejoindre sans plus attendre.

 A.A.

 

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29 avril 2018 7 29 /04 /avril /2018 13:41

 

 

C’était une soirée où j’écoutais de la musique tout seul. Je venais de retrouver un album des années 80, une époque où le jazz français se portait à merveille… Christian Escoudé à la guitare, Didier Levallet à la basse, Bernard Lubat à la batterie, feu Lockwood au violon et Siegfried Kessler aux claviers qu’on surnommait alors « Steak Frittes Caisse Claire » dans les boites de jazz parisiennes. 

Dans ces années là, les Frenchies tenaient la dragée haute aux Ricains, et de belle manière, c’était aussi l’arrivée de Magma, de Christian Vander. Un grand moment musical que j'eus la chance de vivre en direct. Inoubliable. 

Je pensais à tout çà, à tout ce passé encore vivace…je me rappelais des clubs où je me déplaçais certains soirs, le Petit Opportun, le Caveau de la Montagne et pis d’autres. Comme je venais de la banlieue, c’était toujours une expédition pour moi, et qui me coutait bien des ronds que je n’avais pas, mais tous ces souvenirs n’auront jamais de prix. 

Tout allait bien, lorsqu’à 22h42 précises j’entendis toquer à ma porte. Je n’avais pas envie de bouger mon cul, mais ça re-toqua de plus belle…D’ordinaire je me serais dit que c’était encore Farouk qui venait me les briser, mais je le savais mort et enterré. Qui donc alors? J’imaginai un instant que ce fût ma voisine, une petite brunette toute mignonne en mal de câlin ! J’ouvris ma porte avec cet espoir libidineux.

Ma lourde eut grand mal à s’ouvrir, comme si elle était coincée par le bas, et c’est dans un crissement rauque que je réussi à la débloquer.

À ma grande surprise je découvris Farouk dans l’embrasure. Tel qu’il était avant de mourir, en costard noir, la bacchante lustrée et ce petit sourire en coin piqué à la Joconde.  

C’était son fantôme, sans aucun doute, et croyez-moi, cette vision me fit froid dans le dos, de le voir face-à-face.

 

- Ça alors mon Colon, vous ici ? Je vous croyais zozo et clamsé !

- Oui, je suis bien clamsé ! C’est sûr et certain, raide mort, mais je ne cracherai pas sur un petit gorgeon… Te restes-t-il de ce fameux Coteaux de l’Atlas que j’aimais tant ? 

- Certes, je viens tout juste d’en faire rentrer un carton de 12 que j’ai planqué dans mon prie-dieu. 

- À la bonne heure ! J’ai grand soif de religion ! De boire comme Noé !  

Je débouchai mécaniquement une bouterolle, en me demandant si je n’avais pas chopé un vieil Alzheimer par mégarde, au coin de la rue du Souvenir. Mais non, le fantôme de Farouk était parfois à ma droite et tantôt à ma gauche, en fait il était partout. Je nous versai du Coran, deux grands verres à pied remplis ras bords. Nous éclusâmes nos premières fioles sans maudire ! Puis les deuxièmes et les troisièmes et ainsi de suite, sans plus compter. Je crois que vers minuit mes 12 bouteilles trépassèrent. Alors je remis de la musique sur mon pick-up numérique, un truc mystique de John Mc Laughlin des premières heures, My Goals Beyond je crois. Guitare acoustique. 

On est parti là-dedans, on s’est noyé dans les notes, dans le son de la guitare, y avait plus du tout de réalité, ou peut-être qu’il y en avait de trop… Je sais pas… Farouk faisait semblant de jouer de la gratte et il dansait parfois en remuant son cul comme une indienne. Je riais comme un névrosé ! Souvent la nuit est plus longue que le jour, c’est ça qu’il faut admettre. 

Car au petit matin le réveil fut brutal, j’avais pioncé en vrac sur mon canapé et la maison était dans un désordre total, un air de Beyrouth des années 80…sur le mur de mon salon s’étalait un gros tag à la peinture noire : « Bons baisés de Farouk »

 

Depuis j’ai tout effacé, du moins tout ce qu’on peut raisonnablement effacer. 

 

A.A

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3 mars 2018 6 03 /03 /mars /2018 23:42

 

Si je me fie à mes brumeux souvenirs, le type s’appelait Mahmoud, la cinquantaine, assez élancé, des cheveux courts et un nez busqué. C’était le gardien du petit cimetière juif d’Erfoud, il prenait soin d’une quarantaine de tombes, tout au plus, mais il prétendait qu’il s’en trouvait un millier, car les juifs y empilaient ici leurs sépultures, depuis des siècles, affirmait-il. « Faudrait creuser la question ! L’interrogeais-je, goguenard ». Mais il n’avait aucun sens de l’humour…

 

Sur le dessus des pierres tombales on pouvait voir des galets reposés, déposés votifs. La seule tombe, dont le nom du défunt était écrite en langue latine, portait exactement le nom de mon père : David Aknine. J’y déposai un caillou ramassé à la va-vite. Je fis remarquer au gardien cette subtile coïncidence, et Mahmoud y vit un signe divin.

 

Alors, pour une modeste obole, il me laissa pénétrer quelques instants dans le mausolée du rabbi Shmuel Abuhatzera, pour le bien mon âme ! Prévoyant, je gardais toujours dans ma poche revolver une kipa multicolore, assez festive, pour rire de ma judaïté, alors je m’en coiffai pour pénétrer en ce lieu saint, un endroit tout bleu, pas très vaste, bardé de photos pittoresques du rabbi, et plein de textes manuscrits en hébreu. La tombe reposait au milieu de la pièce, avec des bancs en bois brut placés autours de la sépulture, pour les cérémonies, les hiloulas, les recueillements. 

 

Voilà des décennies que les juifs avaient quitté cette magnifique région du Tafilalet, pour la France, le Canada ou Israël, il n’en restait aujourd’hui que des reliques gardées pieusement par des musulmans, qui vénéraient les Rabbis miraculeux… et le tourisme de la nostalgie. Les souvenirs ancestraux ont la vie bien trop dure pour disparaitre d’un coup. Un beau jour, moi aussi, je me dirais : « Bon, ça y est, voilà, je suis mort, me v’là clamsé dans les palmeraies ! C’est quand même plus beau que le Père Lachaise !» 

 

***

 

J’étais descendu à Erfoud à l’occasion du « Salon International des Dattes »…invité par un vieil ami de Farouk, un tailleur de pierre, aussi grand spécialiste des fossiles.

 

(J’adorais ce Salon qui n’avait en fait rien de très « International », mais on y trouvait les meilleures dattes du monde, toutes naturelles, des vertes, des brunes, et les grosses majhoul, de loin mes préférées.)

 

Mon hôte, le tailleur de pierre, s’appelait Fiori, c’était un Rital émigré du Frioul. Il avait épousé une marocaine avec laquelle il procréa un gentil petit garçon et une très jolie fillette. Il vivait des tailles de pierres, de la récolte des fossiles, de dents de mégalodon, des trilobites et autres vestiges millénaires déterrés des mines de phosphate. Il avait rangé, classé ses trésors dans son rez-de-chaussée, le tout ordonné dans des tiroirs, des armoires, des étagères gavées, un vrai musée, avec des œuvres inédites et patrimoniales, comme ses fresques rupestres, préhistoriques, invendables et que j’aurais tant aimé posséder. 

 

Puis un beau jour, il mourut, Fiori, sans crier gare, en laissant tout son bazar en plan, et sa famille avec… quand on meurt, on ne compte pas. Je ne sais pas ce qu’est devenu son atelier de taille de pierre, niché dans les rocailles, ni son hétéroclite et inestimable collection de pierres rares. 

 

 

***

 

Tout ça me revenait en vrac, alors que j’envisageais de faire l’amour avec Narjis, la plus belle femme de Rabat, qui venait de me rouler une pelle, pour me donner une vilaine leçon de jouvence…J’étais trop son ainé, il faut être gonflé pour aller au plumard avec une gosse de plus de vingt ans sa cadette ! Ce n’était pas mon cas, je n’en avais plus les moyens ! «  Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » comme disait Romain Gary. Je me disais pourtant que de mourir d’une crise cardiaque dans les bras d’une belle femme serait une fin qui aurait de la gueule, mais il n’y a pas de belle fin, en vérité. Puis avec Narjiss on n’a jamais envie que ça ne finisse. Une bouille de rêve, des yeux comme des puits sans fond, un nez parfait, une bouche pulpeuse… pour ne parler que de son visage, qu’une partie de son corps.  

 

Puis voilà que je tombe sur une note du Colonel qui bizarrement traitait de Narjis et d’Erfoud. Allez savoir ! 

 

***

 

C’était en avril 19XX, lors d’une manœuvre à la con au sud de Ouarzazatte .

 

 

On avait eu vent qu’il y aurait une tempête, le sergent-chef tonnait tandis que grondait l’orage, ou l’inverse, je sais plus. Dans le reg, quand il flotte, ce n’est pas pour de rire, des draches monumentales qui s’abattent sans pitié et gorgent des oueds d’habitude invisibles, insoupçonnés. Bon dieu ! Ça bardait là-haut, des éclairs à tout-va, des trombes et des trombes. On était tous blottit sous nos guitounes de campagne, dont l’étanchéité était mise à mal, la flotte arrivait de partout, et le zef s’immisçait sans vergogne, pas question de se faire réchauffer un thé à la menthe ou un kawa ! Fallait subir sans broncher, faire le dos rond, terminé ! J’étais collé aux cotés, aux flancs du 1ère classe Mergui, la queue basse, on regardait le ciel se déchaîner, lorsque soudain nous vîmes un éclair qui n’en était pas un, ça ressemblait plutôt à une commette qui venait de s’écraser sur terre. 

Mergui me dit alors : « Bon Dieu ! C’est une météorite qui vient de tomber, sans aucun doute, ma main à couper, ça arrive souvent dans ce coin là de la Terre, c’est bien connu. Tu sais combien vaut une météorite ? Ben moi j’vais te le dire, au moins 50 000 balles ! Et encore pour une petite et celle-là m’avait l’air plutôt grosse ! Si t’en as dans le treillis, on file là-bas la récupérer et on fait fifty-fifty … T’es chiche ? »

L’orage était à son comble, mais l’appât du gain subjugue souvent la crainte de mal finir. Alors nous partîmes sous le vent et le déluge vers le pied de cet improbable arc-en-ciel, à l’abri des regards du régiment encore tapis sous les tentes. 

 

Le 1ère classe Mergui avait raison, il s’agissait bel et bien d’une météorite maousse comme un œuf d’autruche et qui fumait encore. Un petit paquet de fric en perspective ! Mais encore fallait-il pouvoir la transporter, elle devait peser au moins cinquante kilos. La rouler dans ce champ de caillasses détrempé était impensable, et quand bien même…une fois rendu au campement, on disait quoi ? Qu’on était parti ramasser des rocailles, pour le plaisir, en pleine tempête ?

On envisageait des alternatives : l’enterrer sur place, placer un indice et revenir plus tard la cueillir, ou bien la casser en petits morceaux et la transporter en pièces détachées, mais alors il nous eût fallu un outillage lourd que nous ne possédions pas, du genre marteau-piqueur, ou alors « emprunter » une Jeep de l’armée, charger en douce notre trophée à l’arrière planqué sous une bâche camouflage… pas si simple. On ne voyait pas trop bien comment s’en sortir, mais nous ne voulions pas lâcher l’affaire. 

Mais ce que nous ne vîmes pas venir ce fut ce gros Range Rover 4x4 sorti de nulle part sous la pluie battante, immatriculé 1, donc de Rabat, peut-être du Palais… En débarquèrent quatre molosses, sapés façon FBI, leurs bitos en feutre noir rabattus sur les tempes. Ils nous encerclaient pour ainsi dire, lorsqu’une magnifique femme en bikini sortit de l’arrière du véhicule. 

 

« Bonsoir mes poulets, nous dit-elle d’une voix douce, j’adore la pluie, il n’y a rien de plus sain pour la peau, c’est toujours une divine douche pour le corps, grâce à Dieu. » 

Nous restâmes comme deux ronds de flanc, fascinés par la beauté de cette créature qui s’approchait de nous, j’aurais échangé toutes les météorites du monde pour me noyer en ses seins. Ses cheveux virevoltaient comme des flammes impétueuses sous les bourrasques. Etait-ce une vision ? 

 

«  Mes amours, reprit-elle, vous avez bien travaillé et vous allez maintenant charger ce joli don du ciel dans le coffre de ma voiture, voici ma carte de visite, si vous passez un jour par Rabat, appelez moi, je vous offrirai un petit café gourmand que vous n’aurez pas volé. Vous savez que le Tout-Puissant est parfois taquin, Il fait croire beaucoup de chose ! Ce qui tombera du ciel, pour certains c’est la pluie, pour d’autres c’est le soleil, c’est la vie, la pluie masque les larmes et le soleil les sèche.»

 

***

Accrochée à cette note de Farouk par un simple trombone, je retrouvai la carte visite en question, elle était jaunie et marquée par le temps. C’était bien celle de cette Narjis que je convoitais tant et qui, contrairement à cette carte, n’avait étrangement pas pris une seule ride, comme immortelle, protégée par les chutes célestes. Une déesse. 

 

 

A.A.

 

 

 

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23 novembre 2017 4 23 /11 /novembre /2017 21:25

 

Les carnets de Farouk / Séquence 1.18

Pour d’obscures raisons professionnelles, je me retrouvais casé dans un petit hôtel de la périphérie de Tanger, à proximité des usines Renault, dans les zones franches de Melloussa, dites aussi Tanger-Med, du reste l’établissement se nommait l’hôtel Med, un nom charmant.

C’était en octobre, il faisait encore chaud et moite, le vent d’Est qui balaie si souvent la région ne répondait plus, on étouffait. Plantées sur les crêtes des collines avoisinantes, des centaines d’éoliennes gigantesques étaient au chômage technique, leurs pales au ralenti, j’en vis quelques unes qui tournaient quand même très lentement, lorsque la Lune émergea de l’horizon, comme pour trancher ses lointains rayons, dans un ridicule stroboscope.

Tout était calme, je sirotais en paix une bouteille de Terroir Rosé sur mon petit balcon lorsque vers 20h00 un vacarme bourdonnant envahit l’atmosphère, comme l’arrivée d’un nuage de criquets !

  C’était un infernal cortège de minibus qui venait déferler vers l’usine Renault, plusieurs dizaines de véhicules en file indienne, à la queue leu-leu, chargés d’ouvriers soumis à la loi des trois-huit, je les voyais défiler sur la route d’en bas. Je ne pouvais m’empêcher d’avoir pitié pour cette barbaque qu’on fourre au turbin durant huit heures, pour une poignée de dirhams, une impression d’esclavage. Après quelques brèves minutes de silence le carrousel reprit son cours de plus bel, les mêmes minibus ramenaient dans leurs foyers la main-d’œuvre rincée du petit matin, demain ce sera pareil et après-demain aussi, une sorte de broyeuse éternelle, tout ça pour gagner sa pauvre croute. 

Puis le calme revint, petit à petit, émaillé de piaffements de moineaux, un bruit qui n’agresse pas les oreilles. 

 

Parfois, l’esprit humain emprunte d’étranges labyrinthes pour vous conduire où on s’y attend le moins. Ainsi cette anecdote me ramena à la prison pour femmes des Baumettes, bien que je n’en comprisse pas bien ses détours… Peut-être la vision d’une grande femme dégingandée qui descendit du bus juste en bas de mon hôtel, avec un sac en bandoulière.

 

Voilà les notes de Farouk, rédigées à Marseille à ce sujet.  

 

***

 

 

« Tu te souviens de la grande Catherine ? Celle qu’avait braqué une banque toute seule ? Elle avait plaqué tous les blaireaux au sol, pas un qui bouge avant de remplir son sac de cash, un gros paquet à ce qu’on disait ! Tu te souviens ou pas ? Et bien à peine sortie de taule, elle s’est suicidée, elle s’est jetée d’un sixième étage mercredi dernier, les flics la coursaient pour son dernier vol à main armée !  Elle ne voulait plus jamais retourner en zonzon. »

 

(Farouk racontait ça sur un ton faussement neutre, car il aimait encore cette femme, je le savais bien car il contribua à son évasion des Baumettes.)

 

 

Quand j’ai organisé cette cavale, je pensais qu’elle s’en sortirait vivante, et que je la reverrai rapidement mais ça n’a pas marché comme prévu.

Pourtant c’était une bonne idée ce spectacle de danse moderne dans la cour de la prison ! J’avais pris toutes les précautions, un metteur en scène réputé, des moyens techniques du meilleur effet, son, lumière, je n’avais pas lésiné, sans compter les subventions que j’avais soutirées de la mairie ! 

Tu te rappelles des filles qu’on sortit de leurs ratières ? Je les avais visité ces cellules de 9m2 pour deux gonzesses dedans, avec une lucarne à barreaux, une odeur fétide, des couchettes minuscules, des murs en briques rouges noircies de misère, puis cette énorme porte effrayante, bardée de verrous…là tu comprends ce qu’est vraiment la prison. Quand venait l’été elles se mettaient à poil au soleil pendant les promenades, pour bronzer comme si de rien n’était ! Comme si elles attendaient encore leurs Julots, ceux-là qui venaient les insulter, hurlant du haut des collines environnantes qu’elles resteraient pour toujours des putains de salopes ! On ne pouvait pas cracher de plus haut. 

 

Alors nous les sortîmes une par une ces bannies, en plein air, pour qu‘elles fassent des entrechats en public ! Des détrousseuses, des infanticides, des dealeuses, des meurtrières aussi, mais qui avaient principalement buté leur mec en légitime défense, je pardonnais tout à ces taulardes ! 

Sur scène, quel plaisir de voir ces filles s’ébrouer dans cette éphémère liberté, en coulisse on leur offrait des friandises et des boissons de supermarché qui leur rappelaient la vie d’avant. 

 

Avant qu’elle ne soit coffrée, j’avais connu la grande Catherine par hasard à la brasserie du théâtre, à coté du Montansier de Versailles. On y donnait ce soir-là, un spectacle de magiciens retransmis par la télévision française. 

Elle était contorsionniste et je la vis disparaitre dans un panier d’osier pas plus gros qu’une pastèque ! Elle faisait l’essentiel du boulot et son magicien de mes-deux récoltait tous les applaudissements. Elle ne le supportait plus ce gros crâneur ! Ce fut entre de subtils regards que nous nous accrochâmes, alors nous partîmes chez moi pour faire l’amour. Au petit matin elle s’était roulée en boule au fond du plumard et je ne la retrouvais plus. C’était une femme fantôme, souvent il ne me restait que son odeur que j’adorais, puis rien d’autre de visible. 

 

Lorsque j’appris qu’elle se retrouvait en cabane, mon sang ne fit qu’un tour, d’où l’idée de ce show à la prison, j'aurais tout fait pour la tirer de là. 

Tu te souviens, quand le jour de la générale je débarquai aux Baumettes avec une grosse bourriche d’huitres de l’étang de Thau accompagnée d’un carton de Picpoul réservé aux matons que j’aimais bien ? J’écaillai les coquillages dans l’atelier de cartonnage attenant à la cour. Je régalais tout le monde. Ce fut dans cette bourriche que la grande Catherine se replia, je la recouvrai d’un torchon à carreaux… on sortit sans encombre, au nez et à la barbe des gardiens qui picolaient encore mon petit blanc !

 

Je déposai la grande Catherine près du parc Borely, là, elle me roula un long patin inoubliable, doux et puissant, puis me pinça la joue comme ma tante le faisait en me disant « merci mon chéri, adios et bye-bye ».Je la vis ensuite se rouler-bouler dans la mallette arrière d’un Vespa d’une amie qui l’attendait. Depuis plus de nouvelle…jamais, jusqu’au suicide. Et aussi un chèque plié en quatre de 10 000 dollars dont je feins d’ignorer la provenance. 

 

 

A.A.

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15 octobre 2017 7 15 /10 /octobre /2017 14:12

Les carnets de Farouk / Séquence 1.17- Ajout ( texte sans note de Farouk ) 

 

Ce mois de septembre était encore radieux, j’étais de passage à Oualidia pour le week-end, un peu par hasard, comme quoi le hasard fait bien les choses, en loucedé. 

À Oualidia, je n’y avait pas remis les pieds depuis une vingtaine d’années, mazette…  lors d’une virée avec Farouk et mon pote Alain P., ce fut lui qui nous fit découvrir, en ces temps reculés, ce charmant petit coin de la côte atlantique. 

Je me disais, en y arrivant après tant d’années, que mes deux compères, fussent-ils encore en vie, n’auraient pas reconnu le bled tant il avait grossi, boursouflé par l’injustifiable prétention des stations balnéaires en proie au tourisme de masse.

Je réservai une chambre à l’Araignée Gourmande, qui fut un de nos fiefs de l’époque, mais elle aussi avait changée. Le bâtiment principal, qui donnait sur la petite plage étant complet, le taulier me refila une piaule à l’annexe, deux cent mètres plus bas, avec une vue sur rien, meublée de deux petits lits couplés pour en faire un grand, des draps déchirés par l’usure, une salle de bain bien vétuste, avec de l’eau chaude quand même, et des murs insonorisés par Riz-La-Croix…mais pour deux nuits je n’étais pas du genre à me plaindre. Et puis on y mangeait toujours aussi bien, pour ceux qui apprécient les fruits de mer. Le patron nous servait toujours une entrée à l’œil, qu’on n’avait jamais commandée, un plat de couteaux à la persillade ou une rafale d’oursins. Mon préféré restait l’araignée décortiquée avec une mayo maison…à suivre d’une douzaine d’huitres du cru, en dessert, le tout arrosé d’un litron de Sémillant blanc bien frappé. 

J’avais rencontré Alain P. alors qu’il était chef de plateau au palais des congrès de Marrakech, cette année là Farouk avait insisté pour que je l’accompagne au Maroc ( à mes frais bien sûr !) afin de suivre un important colloque de barbouzes dont le thème traitait de « comment démasquer les femmes voilées qui sont d’intelligence avec l’ennemi »…rien que ça ! Autant dire que je n’en avais rien à taper de leurs palabres, j’étais venu par curiosité, dans l’espoir de dévoiler une nouvelle conquête.

Tandis que Farouk draguait dans les couloirs les bonniches de service, je me fis copain avec Alain P. au bar de l’hôtel où il avait carte blanche pour rincer les clients de son choix. Il était bien tombé. Avec moi, sa note fut plus salée que les bretzels du comptoir. 

Ce fut là , sur ce zinc arrosé, que nous décidâmes d’une escapade à Oualidia. 

Je n’eu point grand mal à convaincre Farouk de se joindre à cette petite virée, à condition d’être bien accompagnés. Alain P. venait avec sa femme et nous n’avions aucune intention de tenir les chandelles, évidemment.

 

(J’avais retrouvé des traces de cet épisode dans les carnets de Farouk, mais trop sibyllines, deux phrases mal tournées, au mieux, heureusement que mes souvenirs restaient encore vivaces.)

 

Alain P. considérait, comme beaucoup de mecs, qu’il fallait impérativement faire sa vie avec une femme, non pas par crainte de la solitude ou de la masturbation, mais plutôt pour s’affranchir des menues taches quotidiennes comme la bouffe et le ménage. Bref, on trouve des types comme ça en pagaille, l’amour au pieu et bobonne aux fourneaux… les Gaouris feront toujours rêver les filles du bled, alors les français en profitent à tout âge, surtout avancé….il n’y a pas si longtemps je prenais un café en face du lycée Victor Hugo de Marrakech, c’était un samedi et la cloche de sortie allait bientôt retentir. Je regardais les parents attendre leurs marmots devant le portail, je voyais beaucoup de vieux dans la soixantaine, comme des grands-pères, qui venaient chercher en 4x4 leurs petits-enfants, mais c’était leurs enfants qu’ils attendaient, des vieux croûtons, tous mariés avec des jeunettes qui pourraient être leur fille. À vingt ans, ces moutards auront tous un père grabataire et une mère en colère quand le papa partira sans rien laisser qu’une chimère. 

 

Mais revenons en aux faits. Nous partîmes pour Oualidia à six, blottis dans une Peugeot break : Alain et sa femme Fatima à l’avant, et à l’arrière Farouk flanqué de son étrange Zineb, et moi avec une petite femme de location nommée Zoubida. Nous étions bien serrés et ce n’était pas plus mal pour faire amoureusement trois heures de route cahin-caha. Nous arrivâmes joyeux à Oualidia, un de ces petits moments de bonheur pétillants et juvéniles. Nous prîmes nos trois chambres avec lits matrimoniaux et six bières sans faux col, puis nous décidâmes pour une longue balade sur la grande plage. 

 

Le sable fin était brun comme une belle cassonade, la plage était longée au large par de longs rochers plats comme des îlots que l’océan, au fil des siècles, avait ciselé en dentelles acérées. Les flots avaient aussi rongés la roche par en dessous, et lorsque que les vagues rageuses s’engouffraient dans ses entrailles, l’eau surgissait au beau milieu de l’îlot par d’invisibles bouches, formant de puissants geysers de brume, rythmés par la houle et sonores comme le souffle des baleines.

Parfois de fugaces arc-en-ciel coloriaient ces colonnes de bruine, tout un spectacle que l’on ne pouvait qu’observer à marée montante et à une heure précise de l’après midi. 

Au bout de la plage, on pouvait accéder sur l’une de ces rocailles où l’on pouvait admier la vie de ces étranges geysers. 

 

Alors que nous étions en contre-bas avec Alain P. et nos copines, j’observai Farouk et Zineb s’approcher du trou d’où surgissait l’eau. Puis je les ai vu sauter dedans….tous les deux ! 

 

Alors j’ai crié, j’hurlai à tue-tête devrais-je dire ! Au secours, au secours! 

Mais Alain et les filles, me regardèrent d’un air étrange, comme si je n’allais pas bien, comme si j’avais bu. 

 - Tu sais, me dit doucement Fati, je crois qu’ils sont rentrés à l’hôtel

 - Mais non je les ai vu sauter dans le trou ! 

 - Allez, rentrons, il est tant d’aller claper, trancha Alain, puis c’est l’heure de l’apéro !  

Nous rentrâmes d’un pas alerte à l’Araignée Gourmande. Farouk et Zineb nous attendaient à notre table réservée, devant un verre de blanc, bras dessus bras dessous. 

Encore aujourd’hui je suis absolument certain de les avoir vu sauter…pourtant, ils étaient là, à table, vivants tous les deux. Je me disais que c’est dans le gouffre que l’amour devient éternel.

 

Puis à la fin ce fut quand même cette petite Zineb qui recueillit le dernier souffle du Colonel Farouk.  

 

 

A.A.

 

 

 

 

 

 

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4 septembre 2017 1 04 /09 /septembre /2017 21:33

Les carnets de Farouk / Séquence 1.16

 

J’en avais un peu marre de fouiller dans les mémoires de Farouk, j’avais l’impression de fouiner dans le grenier poussiéreux d’un arrière-grand-père, découvrant des souvenirs qui ne me concernaient guère, et d’autres si peu ou bien si lointains, l’odeur aigre-douce des vieilleries, en somme.

Pourtant j’ai retrouvé, sans le vouloir (ou bien le voulais-je ?) une photo en couleur du Colonel dans les bras d’une jeune femme que je n’ai point connue. Une photo en plan « américain » où l’on voyait son visage radieux, collé aux joues du colon, une blonde bouclée, la  tignasse assez courte. Des grands yeux bleus, gros comme les calots des mes récréations d’école primaire, translucides et profonds, rieurs et faits pour le jeu. Un sourire charmeur se dessinait sur ses douces lèvres, on devinait sous son pull des seins généreux. Farouk semblait comblé à ses cotés, l’air un peu niais, comme engoncé dans un éphémère bonheur, fallait bien en convenir.

 Cette photo avait dû être prise dans les coulisses d’un théâtre car on devinait, en arrière plan, les cheminées des cintres. En observant cette relique de plus près, à la loupe, je découvris, coincé dans un recoin de l’image, un chauve aux cheveux longs qui s‘affairait… je veux dire que ce type n’avait plus un poil sur le caillou mais conservait amoureusement des longs tifs qui lui dégoulinaient au niveau des tempes.

 Malgré le flou de l’image, je le reconnu immédiatement. C’était bien Thierry ! Le cintrier du théâtre Montansier avec qui j’avais travaillé lorsque je faisais des piges au guignol, à cette époque on était bien carmé, 50 francs de l’heure et 100% quand on dépassait le trait de minuit ! Sans compter les paniers quand fallait bouffer sur place !  J’avais gardé attache avec son ex-femme qui devint par la suite mon amante pour de devenir quelques mois plus tard mon ex-amante…un souvenir au goût de « reviens-y » ! Nous avions gardé des contacts, parfois charnels, c’est pourquoi j’obtins d’elle le numéro de téléphone de son ex-Jules.

 Le Thierry n’avait pas beaucoup changé, toujours aussi physique, mais avec la boule  à zéro cette fois, un vrai billard. Nous nous retrouvâmes au bistrot de la gare de Chaville-Vélizy, autour d’un demi.

 Après s’être remémorés nos bons-vieux souvenirs de théâtreux, je lui montrai la photo de Farouk en question dans les bras de cette dame, sa réaction fut immédiate : 

 - Bon sang ! Me dit-il, Tu parles si je m’en souviens ! Cette fille s’appelait Bérangère, elle jouait du boulevard, chez Karsenti ! Une très belle nénette, chez Karsenti, pour gauler une tournée à l’année fallait forcément être bonne ! La pièce répéta deux semaines au Montansier. À la fin de la couturière, elle était venue boire un canon avec nous au local machino ! Elle nous rinça au Saint-Emilion millésimé, un pur nectar, soit disant, moi qui ne bois pas beaucoup du vin, je ne crachai pas sur les traditions. 

Puis vers minuit débarqua son Jules à la Bérangère, un petit gars sec avec de grands yeux noirs, genre moroses, des cheveux bouclés. Il venait chercher sa fiancée, après le service, ce mec bossait dans une brasserie des Champs qui fermait tard. Il était un peu ronchon de retrouver sa gonzesse en train de siffler des canons avec des inconnus alors qu’il avait trimé comme un bourricot toute la sainte journée ! C’était un drôle de couple. Mais le bougre n’était pas du genre vindicatif, Kiki lui remplit un gobelet, puis nous trinquâmes ensemble. Tu te souviens de ce Kiki ? 

- Comment l’oublier ! Je me rappelle des fresques qu’il avait peintes dans les accès de service du théâtre, du style douanier Rousseau, en moins gabelou ! Qu’est-il devenu ? Il me surnommait « P’tit Turc » à cause de mes bacchantes et de mon air méditerranéen !  C’était une crème, je le revois tirer au flanc avec humour, balayant le plateau de cour à jardin, à la chasse aux goupilles, après avoir soufflé les feuilles, en larguant des vannes à la con ! Oui, je me rappelle bien de ses fresques et de ses frasques qui faisaient tourner en bourrique la mère Tassencourt ! J’aimerais tant revoir sa bonne bouille joufflue ! » 

- Moi aussi, mais je ne sais pas ce qu’il est devenu, un fantôme peut-être. Quelqu’un m’a dit l’avoir croiser dans le vieux Versailles, il y a deux ou trois ans, parait que ce n’était pas brillant à voir, il avait la peau tannée comme un parchemin, mais toujours ce même regard à la Jacques Villeret, triste et drôle à la fois. 

- Diable… ! Mais cette Bérangère, l’as-tu revu par la suite ?

- Non, il parait qu’elle a disparue, je tiens la nouvelle d’un régisseur qui racontait qu’à la fin elle avait les chevilles qui enflaient, et qu’elle voulait être enterrée en grandes pompes. 

 

 

 

Ce soir là c’était automne. Les réverbères projetaient des ombres glissantes sur les trottoirs humides. Je rentrais chez moi bredouille. Je regardais les feuilles mortes partir en vrille sous la bruine. Demain les cantonniers les ramasseront à la pelle, comme on déblaie des souvenirs flétris. Je n’enviai plus Farouk d’avoir eu autant d’amantes, quoique ! Peut-être à cause de ma misogynie ! Comme souvent, lorsque j’ai le cafard, j’entrepris de faire le tour de la Pièce d’Eau des Suisses, à coté de laquelle je loge. Elle était calme et déserte, les petites gouttes qui tombaient du ciel imprimaient des ondes douces, presque imperceptibles, sur les eaux sombres du bassin. Demain matin j’irai donner du pain rassis aux cygnes. Après je reprendrais l’avion pour Rabat, puis je tirerais un trait sur cette ténébreuse enquête. 

 

 

Pour Didier

 

A.A.

 

 

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16 juin 2017 5 16 /06 /juin /2017 20:15

 

Aujourd’hui je me suis souvenu d’un type dénommé Didier Pénillon, j’ai bien cru reconnaitre sa bobine sur une vielle photo floue glanée dans les tiroirs de Farouk. Pourtant aucune raison plausible ne me permet de raccorder l’un à l’autre. Absolument aucune, sinon un mélimélo de souvenirs. 

 

Pénillon était un ancien des commandos-marine, des durs de dur, des carcassés, mais des grands paumés une fois rendu à la quille. Je savais que Farouk avait transité quelques semaines chez les commandos, mais de là à croiser Pénillon-le-tatoué, il y avait des bornes. 

Pénillon était taillé dans le granit, une tête au carré, une sorte de menhir pas bien élevé, dans les un mètre soixante. Il portait une petite bacchante et de grosses rouflaquettes. Il souffrait aussi d’une bromhidrose aiguë capable d’infecter des centaines de mètres cubes dès lors qu’il se déchaussait. Une arme fatale.

Son tatouage à l’avant bras était si grossier qu’on ne devinait plus la chose qu’il était censé représenter. Lui même ne s’en souvenait plus très bien. Ce qui comptait dans sa vie, c’était de baiser des femmes à tire-larigot. Une passion. Je crois même qu’il avait réussi à prostituer sa mère pour faire bouillir la marmite. La dernière fois que je l’ai vu, il créchait dans une minable bicoque près de Rambouillet, coincée au bord de la RN10, il y hébergeait trois greluches qui faisaient le tapin auprès des routiers de passage, mais les affaires n’allaient pas fort et l’hiver était rude, alors ils avaient démonté les portes et les volets de la baraque pour alimenter la cheminée. Il y faisait un froid de canard. C’était vilain à voir. Ça gueulait dans tous les sens, des cris stridents, ses pétasses bardées de couvrantes lui en voulaient à mort de les avoir entrainées dans ce maudis taudis. Je les quittai à la sauvette, en douce, sur la pointe des pieds. 

Je ne sais pas pourquoi ce souvenir me ramène aux poésies retrouvées dans les carnets de Farouk. Une piste peut-être dans ce mémo du Colonel. 

 

***

Ce fut en octobre 1982, par un printemps radieux que je rencontrai Fabienne Tremblay à Melbourne, au Flagstaff Gardens.

Elle émigrait du Québec qu’elle quitta à cause de la froidure et travaillait comme serveuse dans la buvette du parc. Elle portait un petit tablier serré à la taille qui lui allait si bien pour faire le service. Je cherchais à cette époque une « boite aux lettres » pour passer en toute discrétion des courriers classés « sensibles ». Je me suis rapproché d’elle. 

Quand je vois une jolie femme, je ne peux jamais m’empêcher de penser qu’elle sera prochainement l’amour de mes nuits ! Ça me fait le coup à chaque fois, j’aurais de quoi baiser un siècle.

Fabienne, je l’aimai d’emblée, avant même de lui adresser la parole. Si belle et si gourde à la fois, avec sa démarche de bûcheron gaspésien, des jambes aussi longues qu’un séquoia, et des miches… mon vieux ! Un visage de blondinette, une peau de bébé, des yeux bleus sous vitrine. Un chignon charmant en forme de poire couronnait son minois. Elle avait aussi un petit nez en trompette qui me donnait envie de claironner. Puis le coup de bol survint. Nous fûmes épris. 

Je m’étendrais pas sur les journées ensoleillées durant lesquelles nous fîmes l’amour à n’en plus finir, blottis dans ma petite piaule. Elle partait tôt le matin, et je la caressais encore jusque dans la salle de bain. Je pensais à elle sans cesse, mais le boulot c’est le boulot…Je glissai dans la poche de son tablier des micro-films à son insu. Un habile pickpocket de nos services, connu comme un habitué de la buvette, venait prendre son café chaque matin et relevait mon courrier subrepticement.

Pour un agent secret c’est une grosse honte d’être filé par autrui sans s’en apercevoir ! C’est pourtant ce qu’il m’arriva. Un type frappa à ma porte vers midi alors que j’enfilais mon caleçon. 

Un jeunot, dans les vingt berges, agité comme une anguille, des yeux bleus furibards et les cheveux en pétard :

- Infâme cochon ! qu’il me dit, Fabienne est à moi, rien qu’à moi ! Je l’aime comme un fou, et vous, vieux lubrique, vous ne pensez qu’à la sauter alors qu’elle pourrait être votre fille ! Vous me dégoutez, je vais vous casser la gueule ! 

- N’y pensez pas ! luis dis-je, je suis spécialiste en arts martiaux, je pourrai vous briser dix côtelettes  en moins de deux. 

 

Alors le gosse a fondu en larmes. Il me raconta sa vie de merde, depuis des lustres. Il geignait comme daim. Dégoulinant. À chier. Je me retenais de lui coller des baffes.

J’hurlais «  Fais’y des gosses à cette môme si tu l’aimes tant, pis passes ta vie à gratter comme con pour subvenir à leurs besoins, t’as aucun rêve dans la tronche mon pauv’ garçon». 

 

Le gamin à reniflé encore et encore, puis il est parti en claquant la porte. En coup de vent. 

 

Le lendemain on retrouva Fabienne noyée dans un petit bassin du Flagstaff recouvert de nénuphars, les badauds virent un petit nez en trompette flotter parmi les fleurs, avant d’alerter la police en fanfare. 

 

Je passai par-là, comme tous les matins, alors j’écoutai l’attroupement qui jasait sur ce fait-divers. « Pauvre gamine, à son âge ! Pensez donc !» 

Du coup je jetai mes micro-films au diable Vauvert. Je ne suis plus jamais retourné à Melbourne et je n’y retournerai jamais. 

 

A.A.

 

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19 janvier 2017 4 19 /01 /janvier /2017 23:19

 

 

 

Comme je l’avais promis précédemment, promesse encore non tenue, je tenais à élucider l’origine d’une série de poèmes que j’ai découvert dans les carnets de Farouk, probablement des apocryphes. J’avance sur ce sujet à pas feutrés, mais j’avance. En attendant je vous livre ces quelques strophes : 

 

 

À elle. 

 

J’ai coulé de l’encre sous les ponts, je regardais le ruisseau

Emporter mes pensées dans son cours, comme un arbrisseau 

Vers une mer lointaine.

 

J’ai dormi des siècles car la nuit était longue, une nuit sans fin. 

Je me rêvais à tes cotés, chaque soir je respirais ton parfum.

Je n’ai pas eu de veine ! 

 

Notre amour s’est fracassé sur le dur récif de mon arrogance,

Tel un bateau ivre dérivant dans l’ouragan de mon ignorance.

Voilà bien ma peine. 

 

Aujourd’hui la solitude est ma compagne, alors je revois ma vie,

Des souvenirs parfois m’accompagnent, mais j’ai tant d’oublis.  

Où es-tu ma reine ?

 

Tu es partie ailleurs, cachée bien loin, aux confins de l’univers.

Je te chercherai encore et toujours, dans mon triste imaginaire

Sans toi la mort est vaine. 

 

 

 

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7 janvier 2017 6 07 /01 /janvier /2017 16:41

 

 

Au Maroc, les mendiants m’énervent un peu en ce moment. Ce n’est pas beau à dire, mais je le dis quand même. Je sais que ces malheureux n’ont rien et le que le Royaume traine la patte pour aider ses miséreux. Alors dans les grandes villes, les pauvres réclament de l’argent dès qu’apparait un semblant de nanti. Une mendicité insistante.

La charité est l’un des cinq piliers de l’Islam ; une pure hypocrisie, un dirham par-ci, un dirham par-là…parfois je donne, parfois pas. Mon œil, la bonne conscience ! On prie surtout le Bon Dieu de ne pas nous avoir rendu aussi pauvre.  Puis on voit ces femmes trimbalant un bébé dans les bras, pour émouvoir aux carrefours encombrés, au milieu des gaz d’échappement, pauvres enfants gazés pour un sou !  D’autres femmes voilées, accroupie sur le trottoir, avec un petit gosse qui ne sait pas où aller jouer ! C’est quoi les gens charitables ? Ceux qui se donnent un brin de conscience en distribuant menu fretin ? Pourtant, quand je fais une aumône de trois ronds, je me dis que c’est bien con, à quoi bon prolonger le supplice d’une vie ? Je suis optimiste…je pense aux enfants qui jouent dans l’immondice en croyant être au paradis, un espoir éphémère. Je sais depuis longtemps que la pauvreté est une plaie pour l’homme, il suffit de lire Zola.

 

Je me disais aussi que j’avais connu pire dans la mendicité, c’était en Indonésie, à Bandung précisément, j’y vis une femme atteinte de la lèpre, accroupie sur un trottoir, elle avait à la place du nez un trou béant, profond, noir comme un gouffre, des yeux vides. Elle portait dans ses bras un bambin assoupi, comme une vierge à l’enfant. Le môme dormait tel un ange dans le giron maternel. Je jetai dans son écuelle quelques roupies… à quoi bon ? J’entendais Antonin Artaud hurler de sa voix de crécelle : «l’homme est malade ! l’homme est malade ! » Il avait raison ! 

Aujourd’hui je n’avais pas le moral, je ruminais, alors j’ouvris une note de Farouk, en même temps qu’une bouteille de Boulaouane bien frappée, c’est tout ce qui me restait au frigo. 

 

 

 

***

 

 

Je l’avais rencontrée à Londres, à Notting Hill précisément, dans un fish&chips branché. Une belle saoudienne, de sang princier, les cheveux tirés en arrière, des yeux magnifiques, en amande, protégés par de larges lunettes à la mode. Elle portait un jogging gris-chiné, sorti d’un campus californien, assez ample pour cacher ses formes qu’on devinait quand même. 

Cette rencontre n’était pas tout à fait fortuite, mais j’imaginais qu’elle le fût. Je tombai amoureux d’elle sans calculer. Je m’étonnai de mon bagout. Je lui faisais du gringue, mais le charme est un exercice difficile qui demande beaucoup de délicatesse, une qualité rare chez les espions. 

Pour introduire les milieux saoudien, mieux valait avoir une princesse dans la fouille ! Celle-ci était plutôt américaine de cœur et de mœurs, mais elle devait se marier avec un prince saoudien, l’étiquette oblige. Ce mariage s’annonçait déjà à la cour des Saoud comme un événement majeur. 

Le plus drôle fut que j’emmenai ma princesse jouer au bowling après le repas, nous dégommâmes des quilles, en pagailles, des strikes en série, des rires, des connivences, après quelques bières je rêvai de faire l’amour avec elle. Fantasme impossible. 

Quelques semaines plus tard, je reçu d’elle un bristol m’invitant à son mariage à Djeda, je ne pouvais pas refuser, ma hiérarchie approuva. J’embarquai sur la RAM, pour un pénible vol de six heures. J’aurais préféré la revoir à Montréal !

C’est triste l’Arabie pour qui n’a aucune raison de se rendre à la Mecque. On y croise plein de déplacés qui en avaient marre de mendier chez eux pour aller gagner leur pain chez les richissimes. L’argent et le pouvoir reposent toujours sur des pilotis fichés dans la misère. 

Là-bas, les femmes restent bien cachées sous abaya, sans bruit, elles déambulent en laissant une trainée de parfum français qui suinte de leur voile noir. Elles circulent souvent en groupe pour éviter tout équivoque avec la police religieuse qui porte matraque à la ceinture. Autant dire que c’est extrêmement rare de rencontrer une femme en entier.

Dehors, dans les larges avenues, je ne croisais que des hommes, le vendredi, encore pire ;  des foules masculines envahissaient les boulevards, elles dégoulinaient comme la lave d’un volcan, compactes, dans un lent mouvement. Une insupportable odeur de mâle envahissait l’atmosphère. L’heure de la prière était sans pitié pour les petits commerçants qui rechignaient à fermer boutiques dans les souks, les flics veillaient à imposer les bonnes mœurs, sous peine de baston. Je rentrai déprimé au Sheraton où ma princesse m’avait réservé une suite junior.

Les préparatifs de la noce avançaient à grands pas, des décorateurs italiens remaniaient à grand frais le ball-room de l’hôtel pour le rendre unique, un écrin d’amour à plusieurs milliers de dollars. La princesse avait commandé des gerbes de tulipes de Hollande, transportées par avion. Mais le camion frigorifique chargé d’acheminer les fleurs à l’hôtel était trop froid, les tulipes arrivèrent détruites, quasiment congelées. On en fit revenir d’autres d’Amsterdam en express, en jet privé. Le décor du mariage fut aussi mal conçu, le vélum était fragile, si bien que les techniciens durent réduire sa hauteur, créant ainsi une ambiance étouffante, les éclairages prévus devenaient aveuglants.

En tant qu’homme, je n’avais pas le droit d’assister à cette cérémonie réservée aux femmes, mais la mariée me trouva une place à coté de l’orchestre qui était installé en « aveugle » dans un couloir qui jouxtait les cuisines. Les musiciens utilisaient deux caméras pour accompagner la chanteuse et monitorer l’audience sur des écrans. 

Les femmes, débarrassées de leurs carcans, affichaient les derniers cris de la mode européenne, tous les renoms du luxe. Des mini jupes, des décolletés plongeants, des bas noirs, résilles et  jarretelles…puis des boucles d’oreilles serties de pierres, des rivières de diamants, des bracelets d’émeraudes, de rubis, une vrai mine d’or. Le petit frère de la princesse, qui devait avoir à peine douze ans, vint nous saluer en coulisse, il portait au poignet une Cartier faite sur mesure, je lui aurais bien coupé la main ! Comme celle du voleur qu’on trancha ce matin en place publique. 

Puis d’un coup, alors que le marié (le seul homme accepté dans cet univers féminin) rejoignait son épouse dans la Kocha, le vélum de tissu s’effondra sur les invités.

S’en suivi une pagaille incroyable, des cris stridents, une bousculade huppée, un mouvement de panique. La sécurité de l’hôtel ne savait pas quoi faire car elle n’avait pas le droit de voir ces bourgeoises en tenue légère. Interdit ! La sirène d’alarme se déclencha. Des femmes dévoilées se précipitèrent dans les couloirs, en cachant de leurs mains leurs visages pour se mettre à l’abri de la concupiscence. Certaines ôtèrent accroupies leurs chaussures à talons pour pouloper plus vite vers la sortie, si bien qu’on apercevait l’entrejambe. Le personnel de cuisine philippin était aux anges ! Débaroula ensuite une cohorte de garde du corps pour sauver cette basse-cour. 

Certains dévoués utilisèrent leurs djellabas pour voiler leurs maîtresses afin de les reconduire au parking dignement. Une procession assez curieuse, d’hommes en caleçon long, babouches et débardeur, trimbalant un sac blanc sous le bras qui gémissait comme une petite souris. J’observais cette farandole d’un regard amusé, lorsque je vis ma princesse passer, accompagnée de quatre colosses en costard noir. Je la voyais se marrer comme pas permis ! Nos regards se croisèrent une seconde…elle m’adressa un clin d’œil coquin que je n’oublierai jamais de ma vie. 

Malheureusement je ne l’ai plus revu depuis cet épisode, mais à chaque fois que j’assiste à un mariage de près ou de loin, je pense à elle qui était si belle.

 

***

 

Je n’avais pas trop envie de penser. « Alors la vie c’est comme ça, et pis c’est tout » me dis-je résigné. 

 

A.A

 

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14 novembre 2016 1 14 /11 /novembre /2016 22:14

Bonsoir 

 

J’ai relevé ce poème dans les carnets de Farouk. Je m’expliquerai plus tard sur les conditions de cette étrange découverte. 

 

                                                                   **

Les cendres

 

Je ne me souviens plus quand tu es partie,

En juin je crois, au petit matin, par un ciel limpide

D’un bleu éternel, dense et profond comme la nuit. 

Le vent ne respirait plus que par un souffle vide.

Nous répandîmes tes cendres aux pieds du palmier,

J’aurais préféré l’olivier, mais il était malade,

Il perdait ses feuilles blanchies.Triste balade,

Tant de souvenirs en poussière, tant d’amour répandu,

Tes cendres s’envolent encore, sans toi je suis perdu. 

 

La nostalgie est féroce car elle ronge toujours le cœur.

Le soleil ne m’aveugle plus puisque ce soir il se meurt.

Cette nuit, la lune crève les nuages, elle brille comme un diamant.

Les moutons s’éparpillent dans les cieux, effrayées par sa lueur,

Comme des agneaux craignant l’assaut violent d’un loup tueur,

J'admire les faibles qui supportent la vie tout en l’aimant ! 

 

Alors je repasse mes souvenirs, sur ma planche à repasser,

Je remets de l’amidon sur le col de mes regrets, pour les durcir. 

Face au dernier souffle, l’homme honnête ne pourra jamais dire 

Qu’il ignorait qu’aimer était tout, l’essentiel avant de trépasser. 

 

Mes souvenirs sont comme des fleurs fanées que je trimballe

Dans le baluchon de ma vie ; je revois l’éclat de ces pétales

Que je méprisais par arrogance, me croyant invincible.

C’est bien triste d’être aussi bêtement risible. 

 

L. Farouk

  

 

A.A.

 

 

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