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29 avril 2018 7 29 /04 /avril /2018 13:41

 

 

C’était une soirée où j’écoutais de la musique tout seul. Je venais de retrouver un album des années 80, une époque où le jazz français se portait à merveille… Christian Escoudé à la guitare, Didier Levallet à la basse, Bernard Lubat à la batterie, feu Lockwood au violon et Siegfried Kessler aux claviers qu’on surnommait alors « Steak Frittes Caisse Claire » dans les boites de jazz parisiennes. 

Dans ces années là, les Frenchies tenaient la dragée haute aux Ricains, et de belle manière, c’était aussi l’arrivée de Magma, de Christian Vander. Un grand moment musical que j'eus la chance de vivre en direct. Inoubliable. 

Je pensais à tout çà, à tout ce passé encore vivace…je me rappelais des clubs où je me déplaçais certains soirs, le Petit Opportun, le Caveau de la Montagne et pis d’autres. Comme je venais de la banlieue, c’était toujours une expédition pour moi, et qui me coutait bien des ronds que je n’avais pas, mais tous ces souvenirs n’auront jamais de prix. 

Tout allait bien, lorsqu’à 22h42 précises j’entendis toquer à ma porte. Je n’avais pas envie de bouger mon cul, mais ça re-toqua de plus belle…D’ordinaire je me serais dit que c’était encore Farouk qui venait me les briser, mais je le savais mort et enterré. Qui donc alors? J’imaginai un instant que ce fût ma voisine, une petite brunette toute mignonne en mal de câlin ! J’ouvris ma porte avec cet espoir libidineux.

Ma lourde eut grand mal à s’ouvrir, comme si elle était coincée par le bas, et c’est dans un crissement rauque que je réussi à la débloquer.

À ma grande surprise je découvris Farouk dans l’embrasure. Tel qu’il était avant de mourir, en costard noir, la bacchante lustrée et ce petit sourire en coin piqué à la Joconde.  

C’était son fantôme, sans aucun doute, et croyez-moi, cette vision me fit froid dans le dos, de le voir face-à-face.

 

- Ça alors mon Colon, vous ici ? Je vous croyais zozo et clamsé !

- Oui, je suis bien clamsé ! C’est sûr et certain, raide mort, mais je ne cracherai pas sur un petit gorgeon… Te restes-t-il de ce fameux Coteaux de l’Atlas que j’aimais tant ? 

- Certes, je viens tout juste d’en faire rentrer un carton de 12 que j’ai planqué dans mon prie-dieu. 

- À la bonne heure ! J’ai grand soif de religion ! De boire comme Noé !  

Je débouchai mécaniquement une bouterolle, en me demandant si je n’avais pas chopé un vieil Alzheimer par mégarde, au coin de la rue du Souvenir. Mais non, le fantôme de Farouk était parfois à ma droite et tantôt à ma gauche, en fait il était partout. Je nous versai du Coran, deux grands verres à pied remplis ras bords. Nous éclusâmes nos premières fioles sans maudire ! Puis les deuxièmes et les troisièmes et ainsi de suite, sans plus compter. Je crois que vers minuit mes 12 bouteilles trépassèrent. Alors je remis de la musique sur mon pick-up numérique, un truc mystique de John Mc Laughlin des premières heures, My Goals Beyond je crois. Guitare acoustique. 

On est parti là-dedans, on s’est noyé dans les notes, dans le son de la guitare, y avait plus du tout de réalité, ou peut-être qu’il y en avait de trop… Je sais pas… Farouk faisait semblant de jouer de la gratte et il dansait parfois en remuant son cul comme une indienne. Je riais comme un névrosé ! Souvent la nuit est plus longue que le jour, c’est ça qu’il faut admettre. 

Car au petit matin le réveil fut brutal, j’avais pioncé en vrac sur mon canapé et la maison était dans un désordre total, un air de Beyrouth des années 80…sur le mur de mon salon s’étalait un gros tag à la peinture noire : « Bons baisés de Farouk »

 

Depuis j’ai tout effacé, du moins tout ce qu’on peut raisonnablement effacer. 

 

A.A

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