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3 mars 2018 6 03 /03 /mars /2018 23:42

 

Si je me fie à mes brumeux souvenirs, le type s’appelait Mahmoud, la cinquantaine, assez élancé, des cheveux courts et un nez busqué. C’était le gardien du petit cimetière juif d’Erfoud, il prenait soin d’une quarantaine de tombes, tout au plus, mais il prétendait qu’il s’en trouvait un millier, car les juifs y empilaient ici leurs sépultures, depuis des siècles, affirmait-il. « Faudrait creuser la question ! L’interrogeais-je, goguenard ». Mais il n’avait aucun sens de l’humour…

 

Sur le dessus des pierres tombales on pouvait voir des galets reposés, déposés votifs. La seule tombe, dont le nom du défunt était écrite en langue latine, portait exactement le nom de mon père : David Aknine. J’y déposai un caillou ramassé à la va-vite. Je fis remarquer au gardien cette subtile coïncidence, et Mahmoud y vit un signe divin.

 

Alors, pour une modeste obole, il me laissa pénétrer quelques instants dans le mausolée du rabbi Shmuel Abuhatzera, pour le bien mon âme ! Prévoyant, je gardais toujours dans ma poche revolver une kipa multicolore, assez festive, pour rire de ma judaïté, alors je m’en coiffai pour pénétrer en ce lieu saint, un endroit tout bleu, pas très vaste, bardé de photos pittoresques du rabbi, et plein de textes manuscrits en hébreu. La tombe reposait au milieu de la pièce, avec des bancs en bois brut placés autours de la sépulture, pour les cérémonies, les hiloulas, les recueillements. 

 

Voilà des décennies que les juifs avaient quitté cette magnifique région du Tafilalet, pour la France, le Canada ou Israël, il n’en restait aujourd’hui que des reliques gardées pieusement par des musulmans, qui vénéraient les Rabbis miraculeux… et le tourisme de la nostalgie. Les souvenirs ancestraux ont la vie bien trop dure pour disparaitre d’un coup. Un beau jour, moi aussi, je me dirais : « Bon, ça y est, voilà, je suis mort, me v’là clamsé dans les palmeraies ! C’est quand même plus beau que le Père Lachaise !» 

 

***

 

J’étais descendu à Erfoud à l’occasion du « Salon International des Dattes »…invité par un vieil ami de Farouk, un tailleur de pierre, aussi grand spécialiste des fossiles.

 

(J’adorais ce Salon qui n’avait en fait rien de très « International », mais on y trouvait les meilleures dattes du monde, toutes naturelles, des vertes, des brunes, et les grosses majhoul, de loin mes préférées.)

 

Mon hôte, le tailleur de pierre, s’appelait Fiori, c’était un Rital émigré du Frioul. Il avait épousé une marocaine avec laquelle il procréa un gentil petit garçon et une très jolie fillette. Il vivait des tailles de pierres, de la récolte des fossiles, de dents de mégalodon, des trilobites et autres vestiges millénaires déterrés des mines de phosphate. Il avait rangé, classé ses trésors dans son rez-de-chaussée, le tout ordonné dans des tiroirs, des armoires, des étagères gavées, un vrai musée, avec des œuvres inédites et patrimoniales, comme ses fresques rupestres, préhistoriques, invendables et que j’aurais tant aimé posséder. 

 

Puis un beau jour, il mourut, Fiori, sans crier gare, en laissant tout son bazar en plan, et sa famille avec… quand on meurt, on ne compte pas. Je ne sais pas ce qu’est devenu son atelier de taille de pierre, niché dans les rocailles, ni son hétéroclite et inestimable collection de pierres rares. 

 

 

***

 

Tout ça me revenait en vrac, alors que j’envisageais de faire l’amour avec Narjis, la plus belle femme de Rabat, qui venait de me rouler une pelle, pour me donner une vilaine leçon de jouvence…J’étais trop son ainé, il faut être gonflé pour aller au plumard avec une gosse de plus de vingt ans sa cadette ! Ce n’était pas mon cas, je n’en avais plus les moyens ! «  Au-delà de cette limite votre ticket n’est plus valable » comme disait Romain Gary. Je me disais pourtant que de mourir d’une crise cardiaque dans les bras d’une belle femme serait une fin qui aurait de la gueule, mais il n’y a pas de belle fin, en vérité. Puis avec Narjiss on n’a jamais envie que ça ne finisse. Une bouille de rêve, des yeux comme des puits sans fond, un nez parfait, une bouche pulpeuse… pour ne parler que de son visage, qu’une partie de son corps.  

 

Puis voilà que je tombe sur une note du Colonel qui bizarrement traitait de Narjis et d’Erfoud. Allez savoir ! 

 

***

 

C’était en avril 19XX, lors d’une manœuvre à la con au sud de Ouarzazatte .

 

 

On avait eu vent qu’il y aurait une tempête, le sergent-chef tonnait tandis que grondait l’orage, ou l’inverse, je sais plus. Dans le reg, quand il flotte, ce n’est pas pour de rire, des draches monumentales qui s’abattent sans pitié et gorgent des oueds d’habitude invisibles, insoupçonnés. Bon dieu ! Ça bardait là-haut, des éclairs à tout-va, des trombes et des trombes. On était tous blottit sous nos guitounes de campagne, dont l’étanchéité était mise à mal, la flotte arrivait de partout, et le zef s’immisçait sans vergogne, pas question de se faire réchauffer un thé à la menthe ou un kawa ! Fallait subir sans broncher, faire le dos rond, terminé ! J’étais collé aux cotés, aux flancs du 1ère classe Mergui, la queue basse, on regardait le ciel se déchaîner, lorsque soudain nous vîmes un éclair qui n’en était pas un, ça ressemblait plutôt à une commette qui venait de s’écraser sur terre. 

Mergui me dit alors : « Bon Dieu ! C’est une météorite qui vient de tomber, sans aucun doute, ma main à couper, ça arrive souvent dans ce coin là de la Terre, c’est bien connu. Tu sais combien vaut une météorite ? Ben moi j’vais te le dire, au moins 50 000 balles ! Et encore pour une petite et celle-là m’avait l’air plutôt grosse ! Si t’en as dans le treillis, on file là-bas la récupérer et on fait fifty-fifty … T’es chiche ? »

L’orage était à son comble, mais l’appât du gain subjugue souvent la crainte de mal finir. Alors nous partîmes sous le vent et le déluge vers le pied de cet improbable arc-en-ciel, à l’abri des regards du régiment encore tapis sous les tentes. 

 

Le 1ère classe Mergui avait raison, il s’agissait bel et bien d’une météorite maousse comme un œuf d’autruche et qui fumait encore. Un petit paquet de fric en perspective ! Mais encore fallait-il pouvoir la transporter, elle devait peser au moins cinquante kilos. La rouler dans ce champ de caillasses détrempé était impensable, et quand bien même…une fois rendu au campement, on disait quoi ? Qu’on était parti ramasser des rocailles, pour le plaisir, en pleine tempête ?

On envisageait des alternatives : l’enterrer sur place, placer un indice et revenir plus tard la cueillir, ou bien la casser en petits morceaux et la transporter en pièces détachées, mais alors il nous eût fallu un outillage lourd que nous ne possédions pas, du genre marteau-piqueur, ou alors « emprunter » une Jeep de l’armée, charger en douce notre trophée à l’arrière planqué sous une bâche camouflage… pas si simple. On ne voyait pas trop bien comment s’en sortir, mais nous ne voulions pas lâcher l’affaire. 

Mais ce que nous ne vîmes pas venir ce fut ce gros Range Rover 4x4 sorti de nulle part sous la pluie battante, immatriculé 1, donc de Rabat, peut-être du Palais… En débarquèrent quatre molosses, sapés façon FBI, leurs bitos en feutre noir rabattus sur les tempes. Ils nous encerclaient pour ainsi dire, lorsqu’une magnifique femme en bikini sortit de l’arrière du véhicule. 

 

« Bonsoir mes poulets, nous dit-elle d’une voix douce, j’adore la pluie, il n’y a rien de plus sain pour la peau, c’est toujours une divine douche pour le corps, grâce à Dieu. » 

Nous restâmes comme deux ronds de flanc, fascinés par la beauté de cette créature qui s’approchait de nous, j’aurais échangé toutes les météorites du monde pour me noyer en ses seins. Ses cheveux virevoltaient comme des flammes impétueuses sous les bourrasques. Etait-ce une vision ? 

 

«  Mes amours, reprit-elle, vous avez bien travaillé et vous allez maintenant charger ce joli don du ciel dans le coffre de ma voiture, voici ma carte de visite, si vous passez un jour par Rabat, appelez moi, je vous offrirai un petit café gourmand que vous n’aurez pas volé. Vous savez que le Tout-Puissant est parfois taquin, Il fait croire beaucoup de chose ! Ce qui tombera du ciel, pour certains c’est la pluie, pour d’autres c’est le soleil, c’est la vie, la pluie masque les larmes et le soleil les sèche.»

 

***

Accrochée à cette note de Farouk par un simple trombone, je retrouvai la carte visite en question, elle était jaunie et marquée par le temps. C’était bien celle de cette Narjis que je convoitais tant et qui, contrairement à cette carte, n’avait étrangement pas pris une seule ride, comme immortelle, protégée par les chutes célestes. Une déesse. 

 

 

A.A.

 

 

 

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