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23 novembre 2017 4 23 /11 /novembre /2017 21:25

 

Les carnets de Farouk / Séquence 1.18

Pour d’obscures raisons professionnelles, je me retrouvais casé dans un petit hôtel de la périphérie de Tanger, à proximité des usines Renault, dans les zones franches de Melloussa, dites aussi Tanger-Med, du reste l’établissement se nommait l’hôtel Med, un nom charmant.

C’était en octobre, il faisait encore chaud et moite, le vent d’Est qui balaie si souvent la région ne répondait plus, on étouffait. Plantées sur les crêtes des collines avoisinantes, des centaines d’éoliennes gigantesques étaient au chômage technique, leurs pales au ralenti, j’en vis quelques unes qui tournaient quand même très lentement, lorsque la Lune émergea de l’horizon, comme pour trancher ses lointains rayons, dans un ridicule stroboscope.

Tout était calme, je sirotais en paix une bouteille de Terroir Rosé sur mon petit balcon lorsque vers 20h00 un vacarme bourdonnant envahit l’atmosphère, comme l’arrivée d’un nuage de criquets !

  C’était un infernal cortège de minibus qui venait déferler vers l’usine Renault, plusieurs dizaines de véhicules en file indienne, à la queue leu-leu, chargés d’ouvriers soumis à la loi des trois-huit, je les voyais défiler sur la route d’en bas. Je ne pouvais m’empêcher d’avoir pitié pour cette barbaque qu’on fourre au turbin durant huit heures, pour une poignée de dirhams, une impression d’esclavage. Après quelques brèves minutes de silence le carrousel reprit son cours de plus bel, les mêmes minibus ramenaient dans leurs foyers la main-d’œuvre rincée du petit matin, demain ce sera pareil et après-demain aussi, une sorte de broyeuse éternelle, tout ça pour gagner sa pauvre croute. 

Puis le calme revint, petit à petit, émaillé de piaffements de moineaux, un bruit qui n’agresse pas les oreilles. 

 

Parfois, l’esprit humain emprunte d’étranges labyrinthes pour vous conduire où on s’y attend le moins. Ainsi cette anecdote me ramena à la prison pour femmes des Baumettes, bien que je n’en comprisse pas bien ses détours… Peut-être la vision d’une grande femme dégingandée qui descendit du bus juste en bas de mon hôtel, avec un sac en bandoulière.

 

Voilà les notes de Farouk, rédigées à Marseille à ce sujet.  

 

***

 

 

« Tu te souviens de la grande Catherine ? Celle qu’avait braqué une banque toute seule ? Elle avait plaqué tous les blaireaux au sol, pas un qui bouge avant de remplir son sac de cash, un gros paquet à ce qu’on disait ! Tu te souviens ou pas ? Et bien à peine sortie de taule, elle s’est suicidée, elle s’est jetée d’un sixième étage mercredi dernier, les flics la coursaient pour son dernier vol à main armée !  Elle ne voulait plus jamais retourner en zonzon. »

 

(Farouk racontait ça sur un ton faussement neutre, car il aimait encore cette femme, je le savais bien car il contribua à son évasion des Baumettes.)

 

 

Quand j’ai organisé cette cavale, je pensais qu’elle s’en sortirait vivante, et que je la reverrai rapidement mais ça n’a pas marché comme prévu.

Pourtant c’était une bonne idée ce spectacle de danse moderne dans la cour de la prison ! J’avais pris toutes les précautions, un metteur en scène réputé, des moyens techniques du meilleur effet, son, lumière, je n’avais pas lésiné, sans compter les subventions que j’avais soutirées de la mairie ! 

Tu te rappelles des filles qu’on sortit de leurs ratières ? Je les avais visité ces cellules de 9m2 pour deux gonzesses dedans, avec une lucarne à barreaux, une odeur fétide, des couchettes minuscules, des murs en briques rouges noircies de misère, puis cette énorme porte effrayante, bardée de verrous…là tu comprends ce qu’est vraiment la prison. Quand venait l’été elles se mettaient à poil au soleil pendant les promenades, pour bronzer comme si de rien n’était ! Comme si elles attendaient encore leurs Julots, ceux-là qui venaient les insulter, hurlant du haut des collines environnantes qu’elles resteraient pour toujours des putains de salopes ! On ne pouvait pas cracher de plus haut. 

 

Alors nous les sortîmes une par une ces bannies, en plein air, pour qu‘elles fassent des entrechats en public ! Des détrousseuses, des infanticides, des dealeuses, des meurtrières aussi, mais qui avaient principalement buté leur mec en légitime défense, je pardonnais tout à ces taulardes ! 

Sur scène, quel plaisir de voir ces filles s’ébrouer dans cette éphémère liberté, en coulisse on leur offrait des friandises et des boissons de supermarché qui leur rappelaient la vie d’avant. 

 

Avant qu’elle ne soit coffrée, j’avais connu la grande Catherine par hasard à la brasserie du théâtre, à coté du Montansier de Versailles. On y donnait ce soir-là, un spectacle de magiciens retransmis par la télévision française. 

Elle était contorsionniste et je la vis disparaitre dans un panier d’osier pas plus gros qu’une pastèque ! Elle faisait l’essentiel du boulot et son magicien de mes-deux récoltait tous les applaudissements. Elle ne le supportait plus ce gros crâneur ! Ce fut entre de subtils regards que nous nous accrochâmes, alors nous partîmes chez moi pour faire l’amour. Au petit matin elle s’était roulée en boule au fond du plumard et je ne la retrouvais plus. C’était une femme fantôme, souvent il ne me restait que son odeur que j’adorais, puis rien d’autre de visible. 

 

Lorsque j’appris qu’elle se retrouvait en cabane, mon sang ne fit qu’un tour, d’où l’idée de ce show à la prison, j'aurais tout fait pour la tirer de là. 

Tu te souviens, quand le jour de la générale je débarquai aux Baumettes avec une grosse bourriche d’huitres de l’étang de Thau accompagnée d’un carton de Picpoul réservé aux matons que j’aimais bien ? J’écaillai les coquillages dans l’atelier de cartonnage attenant à la cour. Je régalais tout le monde. Ce fut dans cette bourriche que la grande Catherine se replia, je la recouvrai d’un torchon à carreaux… on sortit sans encombre, au nez et à la barbe des gardiens qui picolaient encore mon petit blanc !

 

Je déposai la grande Catherine près du parc Borely, là, elle me roula un long patin inoubliable, doux et puissant, puis me pinça la joue comme ma tante le faisait en me disant « merci mon chéri, adios et bye-bye ».Je la vis ensuite se rouler-bouler dans la mallette arrière d’un Vespa d’une amie qui l’attendait. Depuis plus de nouvelle…jamais, jusqu’au suicide. Et aussi un chèque plié en quatre de 10 000 dollars dont je feins d’ignorer la provenance. 

 

 

A.A.

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